A series shot in Honshu, Japan,
inspired by Murakami’s KAFKA ON THE SHORE,
& exhibited in 2011.

Mlle Saeki
“Je soulève le saphir, ôte l’album de Stan Getz, sors le 45 tours Kafka sur le rivage de sa pochette, le pose à la place sur le plateau du tourne-disque. J’abaisse l’aiguille, et Mlle Saeki se met à chanter:
Les doigts de la jeune noyée
cherchent la pierre de l’entrée.
Elle soulève le bord de sa robe d’azur
et regarde Kafka sur le rivage.”

La tempête de sable
Parfois le destin ressemble à une tempête de sable qui se déplace sans cesse. Tu modifies ton allure pour lui échapper. Mais la tempête modifie aussi la sienne. Tu changes à nouveau le rythme de ta marche, et la tempête change son rythme elle aussi. C’est sans fin, cela se répète un nombre incalculable de fois, comme une danse macabre avec le dieu de la Mort, juste avant l’aube. Pourquoi ? Parce que cette tempête n’est pas un phénomène venu d’ailleurs, sans aucun lien avec toi. Elle et toi-même, et rien d’autre.

Le journal d’hier
DES POISSONS TOMBENT DU CIEL !
2 000 SARDINES ET MAQUEREAUX !
DANS UNE RUE COMMERÇANTE DE NAKANO !

Le train à deux wagons
Le chemin de fer suit la côte un moment, puis bifurque vers l’intérieur des terres. Il y a des champs de maïs, des vignes, des terrasses plantées d’orangers. Ici et là, des bassins d’irrigation miroitent sous le soleil matinal. Au fond d’un vallon serpente une rivière limpide ; des terrains en friche sont couverts de graminées estivales. Un chien, installé juste à côté de la voie, regarde le train passer. Je retrouve mon calme en regardant ce paysage. « Ça va aller », me dis-je en prenant une grande inspiration. Il suffit d’aller de l’avant.

La lettre du rat
“Parlons de la ville.
Pas de la nôtre, celle où on est nés, mais d’autres, de différentes villes.
il y a vraiment toutes sortes de villes en ce monde. Chacune a son côté absurde, et c’est ce qui m’attire.
C’est ainsi que j’ai traversé tant de villes durant toutes ces années.
Quand je descends l’escalier d’une gare où je débarque au hasard, je trouve un petit rond-point, un plan du quartier, une rue commerçante. ça, c’est partout pareil. Même les chiens ont la même tête.”

Nakata
— Où allons-nous ?
— Dans le Shikoku pardi ! On va traverser le pont. C’est bien ce que tu voulais, non ?
— Oui. Mais votre travail ?
— T’occupe. Mon boulot, je trouverai toujours un moyen de le faire. J’ai trop travaillé ces derniers temps, je pensais justement prendre un peu de vacances. J’ai encore jamais mis les pieds dans le Shikoku, j’ai bien envie de voir à qui ça ressemble.”

Œdipe roi
Si je pouvais éliminer mon existence ? Au cœur de cette épaisse muraille végétale, sur ce chemin qui n’en est pas un, j’arrêterais de respirer, j’ensevelirais en silence ma conscience dans les ténèbres, ferais couler jusqu’à la dernière goutte mon sang impur imprégné de violence, laisserais pourrir mon patrimoine génétique dans ces sous-bois. Ainsi je pourrais mettre un terme final à ma bataille.

La pierre de l’entrée
— Elle est sacrément lourde.
— C’est une pierre, pas du flan de soja.
— Même pour une pierre, elle est vraiment lourde. Et que voulez-vous que j’en fasse maintenant ?
— Emporte-là chez toi, et pose-là à ton chevet. Ensuite il se passera ce qu’il se passera.

La cabane d’Oshima
Cette nuit, j’ai vu un fantôme. Je ne sais pas si je dois appeler ça un fantôme. En tout cas, ce n’était pas un être vivant, mais une créature sans substance qui n’appartient pas au monde réel. Il suffit d’un regard pour s’en rendre compte.

Le garçon nommé Corbeau
— Quoi qu’il en soit, dis-je, il faut que je parte d’ici, c’est certain.
— Sans doute. Il repose le presse-papiers sur la table, croise les mains derrière la nuque.
— Mais ça ne résoudra pas tout, poursuit-il. Je vais peut-être encore jouer les rabat-joie mais ce n’est pas en partant le plus loin possible que tu parviendras à t’échapper d’ici. On ne peut pas en être sûr. N’espère pas que la distance soit la solution.
Lire “Le bleu du ciel dans le carré du Holga”, le texte introductif à l’exposition écrit par le critique d’art Yannick Vigouroux.